Pour conclure...

L'idée générale de ce cours sur Barthes et Sebald était d'approcher l’essence, voire tenter de définir une ontologie de la photographie par les textes et par le rapport texte / image. Au terme de ce parcours, y a-t-il, comme se le demandait Barthes, une essence de la photographie ou, du moins, des constantes qui apparaissent ? On s'aperçoit qu'il n'y a pas de réponse définitive mais nombre de pistes de réflexion ouvertes... En voici donc quelques-unes :
1. Photographie et temps
On a pu constater que la photographie s'inscrivait dans une temporalité particulière (juxtaposition temporelle, feuilleté de temps, "il est mort et il va mourir" écrit Barthes en-dessous du portrait de Lewis Payne, condamné à mort).

2. Photographie et rapport au réel
A la différence de la peinture, le référent adhère dans la photographie. Ce que nomme Barthes "ça a été" renvoie à la fois au passé mais aussi à ce qu'on pourrait nommer attestation d'existence (c'est, en gros, l'idée d'une valeur documentaire de la photographie). On se rend compte que l'équation photographie = image fidèle du réel doit être dépassée et que les rapports entre photographie et réalité sont en fait bien plus complexes…Ainsi, la photographie seule ne suffit pas pour avoir accès au passé (et au réel).
Ceci paraît avoir force d'évidence, mais la croyance d'une équivalence entre monde réel et monde photographié nourrit l'illusion que la photographie est une lucarne, une fenêtre fidèle ouverte sur le réel.


3. Photographie et éthique
C’est une question importante qui a fait souvent retour dans nos réflexions, à laquelle il est difficile de répondre. Y a-t-il une éthique de la photographie ? Cette interrogation est surtout présente dans les œuvres de Sebald. A partir de nos lectures d'Austerlitz, nous pouvons retenir deux éléments:
  • L’éthique se situe parfois hors image : ne pas vouloir tout montrer est, en soi, la marque d'une volonté de préserver une éthique de l'image (par exemple, lorsque Sebald choisit de ne pas montrer les images du camp de Terezin, pourtant vues et évoquées par son personnage, Jacques Austerlitz).
  • S’il y a une éthique de la photographie, elle se construit donc dans une éthique du regard et dans une éthique de l’écriture. Chez Sebald, elle se construit dans le rapport des images entre elles, invitant le regardeur à y être attentif. Ainsi, l'ethique de la photographie passe par la pratique du montage (qui renvoie aussi le lecteur à sa responsabilité, qui l'invite à être attentifs aux liens existant entre les images, à se faire déchiffreur). 

Cette question d'une éthique de l'image, fondamentale, était déjà soulevée par Walter Benjamin, qui regrettait que l'esthétique puisse prendre le pas sur l'éthique et le politique, par exemple dans les photographies de Renger-Patzsch ("le monde est beau", voilà ce que nous disent ces photographies, écrivait Benjamin. La dimension esthétique de ces photographies était pour lui leur seul contenu, évacuant toute dimension politique ou historique.)
Dans une moindre mesure, c'est cette même dimension esthétique, allant vers davantage de netteté et répondant à un désir de voir, qui a pu justifier les retouches discrètes opéré sur les photographies prises par les Sonderkommando d'Auschwitzévoquées par Didi-Hubermann dans Images malgré tout. De manière plus proche, L. Brogowski faisait la remarque suivante dans un article consacré au documentaire:

"On s’est plaint d’ailleurs récemment des images de bombardement spectaculaires avec les bombes conduites au laser en Afghanistan ou en Iraq, en disant qu’elles n’étaient pas assez nettes. Ainsi la dimension éthique de l’usage fait de ces images, à savoir la question de la crédibilité des conférences de presse de l’armée américaine, a été noyée dans la dimension esthétique (images trop floues). C’est Walter Benjamin qui s’est rendu compte le premier de l’esthétisation de la politique à l’ère de la photographie où l’image tient lieu de pensée." (Leszek Brogowski, "Zola fuit hic. Le documentaire: dispositif photographique, dispositif littéraire", in Littérature et photographie, op.cit)

3. Image et fiction
L'image se trouve bien souvent prise dans les entrelacs de la fiction, comme si elle n’était qu’un support…D’où les dangers de la photographie : objet de fiction, elle suscite aussi la fiction (toutes les fictions). Il faut donc bien une éthique du texte. Si l'usage de la légende peut être nécessaire, comme l'avait déjà souligné Walter Benjamin, il doit être manié avec parcimonie :  comme l’a vu avec l’usage de la légende chez Barthes, ou encore avec Cinq relations entre le texte et l’image de Boltanski, le texte oriente absolument notre lecture de l'image, avec tous les avantages et les inconvénients que cela peut comporter.

4. La photographie est-elle dangereuse?
Il y a, sans doute des dangers de la photographie. Mais l’image en soi, et la photographie, ne peuvent être diabolisées : le problème réside quasi toujours dans les usages qui en sont fait. Sur cette question, les oeuvres de Sebald nous proposent une réflexion riche quoique indirecte, puisqu'elle est menée par le biais du récit (et non de l'essai). 
On pourra poursuivre la réflexion avec l'article de Susan Sontag "Dans la caverne de Platon" (Sur la photographie, p.13-44) qui rappelle à quel point "le contenu éthique des photographie est fragile", mais aussi en lisant Marie-Josée Mondzain, Les images peuvent-elles tuer? 
On pourra commencer aussi avec cette interview de Marie-José Mondzain ("Qu'est-ce qu'une image?")

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