Roland Barthes et La Chambre claire
Quelques liens utiles, autour de Roland Barthes
- A écouter et à regarder, autour des Mythologies : une introduction au texte, par un journaliste du Monde, et la réédition des Mythologies illustrées.
- Sur L'empire des Signes, avec une petite introduction à la sémiologie et à la sémiotique. Barthes y décrit son rapport aux images comme une "sorte de vacillement visuel, analogue peut-être à cette perte de sens que le Zen appelle un satori" (L'empire des signes, in Oeuvres complètes t.3, p.349).
- Pour aller plus loin....le débat en ligne sur Roland Barthes, sur le site Fabula, avec des interventions d'Antoine Compagnon, d'Alexandre Gefen, de Marielle Macé... Les textes sont ouverts aux commentaires, il s'agit donc d'un véritable espace de débat. En lien avec le cours, voir "Le jardin d'hiver" (A. Gefen).
Autour de La Chambre claire
Le contexte d'écriture de La Chambre claire est important : ce texte doit être lu en parallèle avec d'autres textes, articles ou cours écrits entre 1977 et 1980, tous profondément marqués par la mort de la mère, le 25 octobre 1977.
(Ci-contre, photographie extraite de Roland Barthes par Roland Barthes, représentant Roland Barthes et sa mère, sous-titrée : "La demande d'amour")
En 2009, paraît à titre posthume Le journal de deuil, parution qui suscita d'ailleurs la polémique en raison du caractère intime des notes publiées. Ce journal publie les notes prises par Roland Barthes après la mort de sa mère : ainsi, pendant deux ans (de 1977 au 15 septembre 1979), il écrira quelques 330 fiches sur son deuil.
"Neige, beaucoup de neige sur Paris; c'est étrange. Je me dis et j'en souffre: elle ne sera jamais plus là pour le voir, pour que je le lui raconte"
(Journal de deuil, note du 12 février 1978)
Note du Journal de deuil, 17 septembre 1978 |
La Chambre claire est profondément marquée par la mort de la mère : s'il s'agit d'un texte sur la photographie (qu'est-ce que la photographie pour moi?), le texte s'affronte aussi à l'absence et au deuil (comment parler de la mère? se demande-t-il).
Ainsi, certains passages du Journal de deuil, s'interrogeant sur la mémoire et sur la trace du passé, peuvent être mis en parallèle avec des passages de La Chambre claire :
"Pourquoi aurais-je envie de la moindre postérité, du moindre sillage, puisque les êtres que j'ai le plus aimés, que j'aime le plus, n'en laisseront pas, moi ou quelques survivants passés? Que m'importe de durer au-delà de moi-même, dans l'inconnu froid et menteur de l'Histoire, puisque le souvenir de mam. ne durera pas plus que moi et ceux qui l'ont connue et qui mourront à leur tour.
Je ne voudrais pas d'un "monument" pour moi seul.
Le chagrin est égoïste.
Je ne parle que de moi. Je ne puis parler d'elle, dire ce qu'elle était, faire un portrait bouleversant (comme celui que Gide fit de Madeleine)."
(Extrait du Journal de deuil, note du 21 août 1978)
Ce portrait bouleversant, c'est l'enjeu du texte La Chambre claire, dont le centre irradiant est une photographie absente: la photographie du jardin d'Hiver, représentant la mère enfant, où Barthes la retrouve enfin. Ainsi, paradoxalement, c'est au moment où l'image disparait que la littérature advient (le portrait de la mère) et touche quelque chose.
Vous pouvez écouter une lecture de quelques extraits du Journal de deuil, par Olivier Py.
Cette photographie de Daniel Boudinet (Polaroïd, 1979) ouvre La Chambre claire. C'est la seule photographie en couleur du texte, et elle tranche clairement avec les autres photographies présentes (majoritairement des portraits).
Bien entendu, la présence du rideau renvoie à la symbolique du dévoilement, voire du caché, et nous guide vers l'idée d'un dévoilement de soi ou d'un chemin vers le caché en soi, soit l'inconscient.
On peut en faire une lecture plus théorique, en pensant à ce texte de Pline:
"Le peintre Zeuxis d’Héraclès avait pour rival le peintre Parrhasios. Lors d’un concours, Zeuxis peignit des raisins avec tant de ressemblance, que des oiseaux vinrent les becqueter ; tandis que Parrhasios représenta un rideau si fidèlement au modèle, que Zeuxis, tout fier d’avoir piégé les oiseaux, demanda qu’on tirât enfin le rideau, pour faire voir le tableau. Alors, reconnaissant son illusion, il s’avoua vaincu avec une franchise modeste, attendu que lui n’avait trompé que des oiseaux, mais que Parrhasios avait trompé un artiste, qui était Zeuxis." (Pline, Histoires naturelles, XXXV-64)
Cette photographie ferait-elle référence à l'effet de réel (mais aussi à l'illusion) propre à toute photographie?