Où l'on reparle de hantises : "Revenants. Images, figures et récits du retour des morts" au Louvre

Daniel Rabel, entrée des fantômes, 1632

Du 13 janvier au 14 mars 2011 se tient au Louvre une exposition intitulée Revenants. Images, figures et récit du retour des morts. Il s'agit principalement d'interroger l'iconographie de la hantise: on y trouvera ainsi, du Moyen-Âge au début du 20e siècle, des représentations diverses du retour des morts.

Hans Baldung Grien, Le chevalier, la Jeune fille et la mort (15e-16e siècle)
On part donc de la représentation médiévale des danses macabres et de la figure, très largement reprise par la suite, de la jeune fille et de la mort, avec le tableau de Hans Baldung Grien. C'est la grande tradition du macabre, qui se développe tout au long du 15e siècle et au-delà, autour de squelettes animés. On trouvera aussi des dessins d'Ingres autour du songe d'Ossian, ainsi que l'incontournable figure de Hamlet. On peut aussi y voir des plaques de verre peintes, pouvant être articulées par le projectionniste dans le cadre d'un spectacle de fantasmagorie, où se mélangent allègrement figures historiques, comme Marie-Antoinette, et squelettes issus de la tradition de la danse macabre. Héritière du dispositif optique de la lanterne magique, la fantasmagorie consistait en la projection d'image "mouvementés", semblant surgir de toute part, accompagnés de dispositif sonores et acoustisques, de fumée et autre vapeur. Soit une véritable expérience, sans doute, pour le spectateur de l'époque...
Voici la "réclame" qu'en faisait en 1798 Robertson, "physicien-aéronaute":

"Apparitions de spectres, Fantômes et Revenans, tels qu’ils ont dû et pu apparaître dans tous les temps, dans tous les lieux et chez tous les peuples. Expériences sur le nouveau fluide connu sous le nom de Galvanisme, dont l’application rend pour un temps le mouvement aux corps qui ont perdu la vie… "


Peu d'oeuvres donc, présentées dans la petite salle d'actualité des Arts Graphiques, mais une sélection intéressante : comme l'indique le dossier, il s'agit de montrer comment convergent les arts de l'image avec les arts du spectacle, comment la représentation des spectres sous les formes de la grisaille, de la perte de netteté vont donner naissance, au tournant du 20e siècle, au goût de la photographie spirite.

Nous avions déjà relevé à quel point la photographie - mais aussi, par la suite, le cinématographe, cette "écriture de lumière"-  était un art propice à l'apparition des spectres. Cela tient en partie à des raisons techniques, que le passage de la photographie argentique à la photographie numérique a très largement remis en question : là où la première technique faisait intervenir la notion de trace, d'empreinte lumineuse, de révélation, la deuxième fonctionne davantage par recomposition. C'est ce qui fait dire à Roland Barthes dans La Chambre claire que "la photographie est littéralement une émanation du référent", ajoutant que "la photo de l'être disparu vient me toucher comme les rayons différés d'une étoile" (p.128). En somme, la photographie a rejoué le rôle auparavant dévolu à ce que les Romains nommaient les imago, ces moulages des têtes des morts qu'ils gardaient dans l'atrium : conserver le souvenir du disparu, et ce de manière très physique - ou chimique, dans le cas de la photographie.

En tout cas, ces photographies spirites, censées être le reflet de la communication avec l'au-delà d'une médium américaine vers 1900 (Agnès Healy) nous apparaissent plutôt aujourd'hui en leur qualité de photomontages, mais aussi comme les témoins de la fascination d'une époque pour la technique photographique et pour la croyance en l'au-delà. On en trouvera un aperçu historique ici.

L'exposition s'accompagne d'une série de rencontres et de projections, avec des intervenants comme Georges Didi-Hubermann, ou encore Avita Ronell. Une "carte blanche" est également proposée à Kiyoshi Kurosawa, ce cinéaste japonais dont les oeuvres sont peuplées de revenants et de fantômes, mais dont l'univers est toujours ancré dans une réalité sociale, donnant une image bien sombre du Japon contemporain. Et c'est peut-être là l'aspect le plus intéressant de ces iconographies, images et récit du retour des morts : ils nous parlent toujours des vivants, dans leur rapport avec la mort certes, mais aussi avec la mémoire, voire avec leur propre présent. On se souviendra par exemple que Elfriede Jelinek, auteur autrichienne, prix Nobel de Littérature, utilise souvent la figure du mort-vivant dans sa dimension la plus subversive, pour évoquer un passé qui ne passe pas dans la société autrichienne contemporaine (la mémoire du passé nazi). On pourra également se rappeler de la charge politique du film de Georges Romero, La nuit des morts-vivants, en 1968. Le fantôme, comme le mort-vivant, interrogent tous deux le présent dans son rapport au passé.
Ainsi, les photographies spirites d'Agnès Healy font apparaître les spectres des morts mais aussi des fantômes de chefs amérindiens, comme une étrange manifestation d'un retour du refoulé à l'époque où l'on massacrait ces populations.

Pour aller plus loin, on pourra consulter :
- le dossier de l'exposition, avec le programme des rencontres et des films projetés.
- le beau catalogue de la Maison européenne de la photographie. Clément Chéroux et al.Le troisième oeil: la photographie et l'occulte, Paris, Gallimard, 2004.

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