Archive for mars 2011

La représentation de la catastrophe (colloque "Correspondance des Arts")

Les publications se sont ralenties ces deux dernières semaines. Ce n'est nullement par manque d'envie ou d'idées, mais simplement car je prépare une intervention sur W.G Sebald et la photographie pour un colloque qui aura lieu les 24 et 25 mars prochains à l'Université de Strasbourg.
Je parlerai de mon sujet de prédilection, à savoir les hantises de l'histoire chez Sebald, et plus particulièrement la représentation de la catastrophe dans ses oeuvres. Austerlitz y occupera une place de choix, puisque c'est le livre de Sebald le plus résolument tourné vers la fiction. Du coup, l'aspect référentiel et documentaires des photographies, insérées dans le texte, nous interrogent encore plus.
Le programme est disponible ici.

Par ailleurs, pour ceux qui seraient intéressés par le sujet, je signale une publication intéressante: il s'agit d'une revue, Les Carnets du bal n°1 (Images en manoeuvre éditions), dont le titre est "L'image-document, entre réalité et fiction". Je découvre d'ailleurs à cette occasion que LE BAL est aussi un lieu indépendant dédié à la représentation du réel par l'image sous toute ses formes (photographies, vidéos, cinéma, nouveaux médias), proposant expositions et performances. Le lieu est un ancien cabaret, "hôtel d'amour et salle de bal des années folles. Il se situe dans le 18e arrondissement de Paris.

On y trouve dans la première revue du BAL quelques articles passionnants, comme celui de Georges Didi-Huberman ("Remonter, refendre, restituer", consacré à l'artiste Harun Farocki), celui de Muriel Pic sur Sebald, ou encore de David Campany ("Pour une politique des ruines : quelques réflexions sur une photographie de l'après"). Ce dernier article part du documentaire de Meyerowitz (Reflections of Ground Zero) consacré à la catastrophe du 11 septembre et à l'effondrement du Worl Trade Center.
La démarche de Meyerowitz est singulière, souligne D. Campany : dans son documentaire se profile "l'idée que la photographie, plutôt que la télévision, constituerait le support idoine de l'"histoire officielle" et des "images d'archives". Les photographies y étaient situées sur un plan supérieur à celui de l'émission dans laquelle elles étaient présentées".
C'est avec un antique Deardoff, vieux de soixante ans, que le photographe apparaît dans ce documentaire. Une certaine mélancolie se dégage de ces images. (L'extrait est en anglais)


Ce qui interpelle D. Campany, dans le travail de Meyerowitz, c'est cette propension à restituer "moins la trace d'un événement que la trace de la trace d'un événement." En cela, on pourrait la qualifier de "photographie "de l'après"" ("late" photography). Il photographie les séquelles de la catastrophe ("traces, fragments, bâtiments vides, rues désertes, corps meurtris, lieux dévastés"). En cela, nous ne sommes plus tout à fait dans cette théorie du photojournalisme comme saisie de l' "instant décisif",  comme j'en parlais dans mon dernier billet.
D. Campany voit dans cette photographie "de l'après" une approche du photojournalisme "en voie de généralisation".

"Ceci laisse penser que la photographie a depuis peu hérité d'un rôle de croque-mort, de greffier, ou de comptable. Elle intervient après-coup, sillonne les lieux où les choses se sont produites, et dresse l'inventaire des conséquences de l'activité du monde. En renonçant à représenter le cours des événements, elles les abandonne aux autres médias. Très différent de l'instantané pris sur le vif, ce type de photographie entretient aussi une relation particulière avec la mémoire et avec l'histoire."

L'arrivée de la vidéo a sans doute, relève encore D. Campany, contribué à ce renversement puisque cette nouvelle technologie s'est alors attribué "les missions institutionnelles confiées auparavant à la photographie".

La réflexion est intéressante et demanderait à être développée. J'y reviendrai sans doute dans des prochains billets.
J'ai, ces derniers jours, suivis comme tout le monde les récents événements tragiques se déroulant au Japon. Beaucoup d'images nous ont submergés, bouleversés. N'ayant pas la télévision, je suis surtout confrontées aux photographies de cette catastrophe. Certains chercheurs ont déjà analysé le traitement des images et la représentation de la catastrophe, vous trouverez donc si vous le souhaitez des analyses sur le portail Culture Visuelle.
Pour ma part, je pense qu'il faut parfois laisser le temps de la tristesse et du deuil avant d'être dans le temps du recul et de l'analyse. Ce temps-là est silencieux. Je serais donc pour l'instant silencieuse au sujet de ces images, car le moment ne me paraît pas opportun.
Je ne peux pourtant cesser de penser au livre terrible et nécessaire de Svetlana Alexievitch, journaliste et écrivain biélorusse, nommée La supplication. Tchernobyl, chronique du monde après l'Apocalypse.
Elle est allée à la rencontre de ceux qui ont vécu la catastrophe, et leur a donné la parole.
Voilà comment elle décrit sa tâche: "Il s'est produit un événement pour lequel nous n'avons ni système de représentation, ni analogies, ni expérience...Plus d'une fois, j'ai eu l'impression de noter le futur."

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